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Seulement les enfants cueillaient des coquelicots ou dénichaient des nids de rossignols autour de nous, en revenant à chaque instant les montrer à moi et à leur mère. Denise souriait en pleurant et pleurait en souriant, comme une nuée d’avril. Elle était encore plus jolie qu’à dix-huit ans, depuis qu’elle dormait toute sa nuit, que le pain et le laitage abondaient sur la table, grâce à mon économie, et qu’elle me sentait là, à côté d’elle, sans que personne pût jamais y trouver à redire et nous séparer. Je lui avais acheté des habits de laine bleue galonnés de rouge, avec des tabliers de coton rayé et des souliers à boucles de laiton, aussi luisants que son crucifix. Ses joues étaient devenues roses comme des pommes d’oiseau. Elle courait sur la pente des prés après sa petite, aussi légère que si elle avait été sa sœur. Étions-nous jeunes ! Étions-nous fous ! Étions-nous heureux, monsieur ! Le jour approchait où nous devions descendre avec toute la famille pour nous marier au village. Ma mère en avait rajeuni elle-même, et commençait à revoir le soleil dans la cour. Ces neuf ans n’étaient rien qu’un mauvais rêve qui semblait n’avoir duré qu’une nuit.