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et avec sa manivelle de fer sur son dos. Il allait aiguiser les serpes, les faux et les couteaux devant les maisons pendant l’automne et pendant l’hiver. On lui donnait la soupe et une place dans le grenier à foin chez les pratiques, et il revenait avec quelques sous dans sa bourse de cuir à la fonte des neiges. Quant à mon père, pour aider notre mère à vivre et à nous habiller, il allait, comme moi, tirer ou tailler de la pierre dans les carrières des hameaux de Saint-Point. Il revenait tous les soirs pour souper avec la mère et avec nous autres enfants car il aimait tant sa femme et sa maison qu’il disait : « Je ne pourrais jamais être coquetier comme Baptiste, ou rémouleur comme François ; car, lorsque je ne vois pas, de la carrière où je travaille, le toit de la hutte qui fume quand ma femme met le fagot au feu, le temps me dure et il me semble que le monde est trop grand. Ah ! c’était un bien brave homme et un homme si doux, si doux, bien qu’il maniât toujours le pic et les pierres, que le soir, quand il nous asseyait tout petits sur son tablier de peau, mon frère, mes sœurs et moi, nous aimions presque autant ce tablier que celui de notre mère.