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ministre des affaires étrangères répondait à tout. Ce passeport était ainsi conçu : « De par le roi, mandons de laisser passer madame la baronne de Korf, se rendant à Francfort avec ses deux enfants, une femme, un valet de chambre et trois domestiques ; » et plus bas : « Le ministre des affaires étrangères, Montmorin. » Ce nom étranger, ce titre de baronne allemande, l’opulence proverbiale des banquiers de Francfort, à laquelle le peuple était accoutumé de prêter les plus splendides et les plus bizarres équipages, tout avait été bien calculé par le comte de Fersen pour pallier ce que le cortége royal avait de trop suspect et de trop inusité. En effet, rien n’excita l’émotion publique et rien ne ralentit la course jusqu’à Montmirail, petite ville entre Meaux et Châlons. Là, une réparation à faire à la berline suspendit d’une heure le départ du roi. Ce retard d’une heure, pendant lequel la fuite du monarque pouvait être découverte aux Tuileries et des courriers lancés sur sa trace, consterna les fugitifs. Cependant la voiture fut promptement réparée, et les voyageurs repartirent, sans se douter que cette heure perdue coûtait peut-être la liberté et la vie à quatre personnes sur cinq qui composaient la famille royale.

Ils étaient pleins de sécurité et de confiance. L’heureux succès de leur évasion du château, leur sortie de Paris, la ponctualité des relais jusque-là, la solitude des routes, l’inattention des villes et des villages qu’ils étaient obligés de traverser, tant de dangers déjà derrière eux, le salut si près devant eux, chaque tour de roue les rapprochant de M. de Bouillé et des troupes fidèles postées par lui pour les recevoir, la beauté même de la saison et du jour si doux à des yeux qui ne se reposaient depuis deux ans que sur les