Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 9.djvu/60

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

génie, aucune âme n’avait la vertu, aucun bras n’avait l’énergie de dominer ce chaos et d’en faire sortir la justice, la vérité et la force. Les choses ne produisent que ce qui est en elles. Louis XVI était probe et dévoué au bien ; mais il n’avait pas compris, dès les premières impulsions de la Révolution, qu’il n’y a qu’un rôle pour le chef d’un peuple, c’est de se mettre à la tête de l’idée nouvelle, de livrer le combat au passé, et de cumuler ainsi dans sa personne la double puissance de chef de la nation et de chef de parti. Le rôle de la modération n’est possible qu’à la condition d’avoir la confiance entière du parti qu’on veut modérer. Henri IV avait pris ce rôle, mais c’était après la victoire ; s’il l’eût tenté avant Ivry, il aurait perdu non-seulement le royaume de France, mais celui de Navarre.

La cour était égoïste et corrompue ; elle ne défendait dans le roi que la source des vanités et des exactions à son profit. Le clergé, avec des vertus chrétiennes, n’avait aucune vertu publique. État dans l’État, sa vie était à part de la vie de la nation ; son établissement ecclésiastique lui semblait indépendant de l’établissement monarchique. Il ne s’était rallié à la monarchie menacée que du jour où il avait vu sa fortune compromise ; alors il avait fait appel à la foi des peuples pour préserver ses richesses : mais le peuple ne voyait plus dans les moines que des mendiants, dans les évêques que des exacteurs. La noblesse, amollie par une longue paix, émigrait en masse, abandonnant le roi à ses périls, et croyant à une intervention prompte et décisive des puissances étrangères. Le tiers état, jaloux et envieux, demandait violemment sa place et ses droits aux castes privilégiées ; sa justice ressemblait à la haine. L’Assemblée résumait en elle toutes ces faiblesses, tous ces