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Vous ne pouvez pas déshonorer les mânes de Désilles, ni de ces généreux citoyens qui sont morts en défendant les lois contre eux ! Vous ne pouvez pas déchirer par ce triomphe le cœur de ceux qui, parmi vous, ont pris part à l’expédition de Nancy. Permettez à un militaire qui fut, avec son régiment, commandé pour cette expédition, de vous représenter l’effet que votre décision ferait sur l’armée. (Les murmures redoublent.) L’armée ne verra dans votre conduite que l’encouragement à l’insurrection. Ces honneurs feront croire aux soldats que vous regardez ces amnistiés non comme des hommes trop punis, mais comme des victimes innocentes. » Le tumulte force M. de Jaucourt à descendre.

Mais un des membres, dans un état visible d’émotion et de douleur, le remplace à la tribune. C’est M. de Gouvion, jeune officier d’un nom célèbre et déjà gravé dans les premières pages de nos guerres. Le deuil de ses habits et le deuil plus profond de ses traits inspirent un intérêt involontaire aux tribunes et changent le tumulte en attention. Sa voix hésite et se voile ; on y sent l’indignation grondant sous l’attendrissement :

« Messieurs, dit-il, j’avais un frère, bon patriote, qui, par l’estime de ses concitoyens, avait été successivement commandant de la garde nationale et membre du département. Toujours prêt à se sacrifier pour la Révolution et pour la loi, c’est au nom de la Révolution et de la loi qu’il a été requis de marcher à Nancy avec les braves gardes nationales. Là, il est tombé percé de cinq coups de baïonnette sous la main de ceux que… Je demande si je suis condamné à voir tranquillement ici les assassins de mon frère ? — Eh bien ! sortez ! » crie une voix implacable. Les tribunes applaudissent à ce mot plus cruel et plus froid que