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nuit, soixante mille esclaves, armés de torches et des outils de leur travail, incendièrent toutes les habitations de leurs maîtres dans un rayon de six lieues autour du Cap. Les blancs sont égorgés. Femmes, enfants, vieillards, rien n’échappe à la fureur longtemps comprimée des noirs. C’est l’anéantissement d’une race par une autre. Les têtes sanglantes des blancs, portées au bout de roseaux de canne à sucre, sont le drapeau qui mène ces hordes non au combat, mais au carnage. Les outrages de tant de siècles commis par les blancs sur les noirs sont vengés en une nuit. Une émulation de cruauté semble faire rivaliser les deux couleurs. Les nègres imitent les supplices si longtemps exercés contre eux ; ils en inventent de nouveaux. Si quelques esclaves généreux et fidèles se placent entre leurs anciens maîtres et la mort, on les immole ensemble. La reconnaissance et la pitié sont des vertus que la guerre civile ne reconnaît plus. La couleur est un arrêt de mort sans acception de personnes. La guerre est entre les races et non plus entre les hommes. Il faut que l’une périsse pour que l’autre vive ! Puisque la justice n’a pu se faire entendre entre elles, il n’y a que la mort pour les accorder. Toute grâce de la vie faite à un blanc est une trahison qui coûtera la vie à un noir. Les nègres n’ont plus de cœur. Ce ne sont plus des hommes, ce n’est plus un peuple, c’est un élément destructeur qui passe sur la terre en effaçant tout.

En quelques heures huit cents habitations, sucreries, caféieries, représentant un capital immense, sont anéanties. Les moulins, les magasins, les ustensiles, la plante même qui leur rappelle leur servitude et leur travail forcé, sont jetés aux flammes. La plaine entière n’est plus couverte, aussi loin que le regard peut s’étendre, que de la fumée et