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la chaîne qui tient une race humaine dans la dégradation et dans la servitude. La fréquentation de ces hommes de bien élargit encore l’âme d’Ogé. Il était venu en Europe pour défendre seulement l’intérêt des mulâtres ; il y embrassa la cause plus libérale et plus sainte de tous les noirs. Il se dévoua à la liberté de tous ses frères. Il revint en France, il fréquenta Barnave ; il supplia le comité de l’Assemblée constituante d’appliquer les principes de la liberté aux colonies et de ne pas faire une exception à la loi divine en laissant les esclaves à leurs maîtres. Inquiet et indigné des hésitations du comité, qui retirait d’une main ce qu’il avait donné de l’autre, il déclara que, si la justice ne suffisait pas à leur cause, il ferait appel à la force. Barnave avait dit : Périssent les colonies plutôt qu’un principe. Les hommes du 14 juillet n’avaient pas le droit de condamner dans le cœur d’Ogé l’insurrection qui était leur propre titre à l’indépendance. On peut croire que les vœux secrets des amis des noirs suivirent Ogé, qui repartit pour Saint-Domingue. Il y trouva les droits des hommes de couleur et les principes de la liberté des noirs plus niés et plus profanés que jamais. Il leva l’étendard de l’insurrection, mais avec les formes et les droits de la légalité. À la tête d’un rassemblement de deux cents hommes de couleur, il réclama la promulgation dans les colonies des décrets de l’Assemblée nationale, arbitrairement ajournée jusque-là. Il écrivit au commandant militaire du Cap : « Nous exigeons la proclamation de la loi qui nous fait libres citoyens. Si vous vous y opposez, nous nous rendrons à Léogane, nous nommerons des électeurs, nous repousserons la force par la force. L’orgueil des colons se trouve humilié de siéger à côté de nous. A-t-on consulté l’orgueil des nobles et du clergé pour