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VII

Les victimes cependant se multipliaient tous les jours, et les désastres n’attendaient pas les désastres. L’empire entier semblait s’écrouler sur ses fondateurs. Saint-Domingue, la plus riche des colonies françaises, nageait dans le sang. La France était punie de son égoïsme. L’Assemblée constituante avait proclamé en principe la liberté des noirs ; mais, de fait, l’esclavage subsistait encore. Plus de trois cent mille esclaves servaient de bétail humain à quelques milliers de colons. On les achetait, on les vendait, on les mutilait comme une chose inanimée. On les tenait par spéculation hors la loi civile et hors la loi religieuse. La propriété, la famille, le mariage, leur étaient interdits. On avait soin de les dégrader au-dessous de l’homme, pour conserver le droit de les traiter en brutes. Si quelques unions furtives ou favorisées par la cupidité se formaient entre eux, la femme, les enfants, appartenaient au maître. On les vendait séparément, sans aucun égard aux liens de la nature. On déchirait sans pitié tous les attachements dont Dieu a formé la chaîne des sympathies de l’humanité.

Ce crime en masse, cet abrutissement systématique avait ses théoriciens et ses apologistes. On niait dans les noirs les facultés humaines. On en faisait une race intermédiaire entre la chair et l’esprit. On appelait tutelle nécessaire l’infâme abus de la force qu’on exerçait sur cette race inerte