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VI

Un de ces hommes sinistres qui semblent flairer le sang et présager le crime arrivait de Versailles à Avignon. Cet homme se nommait Jourdan. Il ne faut pas le confondre avec un autre révolutionnaire du même nom né à Avignon. Né dans ces montagnes du Midi arides et calcinées, où les brutes mêmes sont plus féroces, successivement boucher, maréchal ferrant, contrebandier dans les gorges qui séparent la Savoie de la France, soldat, déserteur, palefrenier, puis enfin marchand de vin dans un faubourg de Paris, il avait écumé dans toutes ces professions les vices de la populace. Les premiers meurtres commis par le peuple dans les rues de Paris avaient révélé sa véritable passion. Ce n’était pas celle du combat, c’était celle du meurtre. Il paraissait après le carnage pour dépecer les victimes et pour déshonorer davantage l’assassinat. Il s’était fait boucher d’hommes. Il s’en vantait. C’était lui qui avait plongé ses mains dans la poitrine ouverte et arraché le cœur de MM. Foulon et Berthier. C’était lui qui avait coupé la tête aux deux gardes du corps MM. de Varicourt et des Huttes, le 6 octobre, à Versailles ; c’était lui qui, rentré dans Paris et portant ces deux têtes décollées au bout d’une pique, reprochait au peuple de se contenter de si peu et de l’avoir fait venir pour ne couper que deux têtes ! Il espérait mieux d’Avignon. Il s’y rendit.