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contre l’autorité provisoire de la municipalité. On semait le bruit de ridicules miracles qui demandaient, au nom du ciel, vengeance des attentats commis contre la religion. Une statue de la Vierge, vénérée du peuple dans l’église des Cordeliers, avait, disait-on, rougi des profanations de son temple. On l’avait vue verser des larmes d’indignation et de douleur. Le peuple, nourri, sous le gouvernement papal, de ces crédulités superstitieuses, s’était porté en foule aux Cordeliers pour venger la cause de sa protectrice. Animé par des exhortations fanatiques, confiant dans cette intervention divine, l’attroupement, sorti des Cordeliers et grossi par la foule, se porta aux remparts, ferma les portes, retourna les canons sur la ville et se répandit dans les rues, demandant à grands cris le renversement du gouvernement. L’infortuné Lescuyer, notaire d’Avignon, secrétaire-greffier de la municipalité, plus spécialement désigné à la fureur de la horde, fut arraché violemment de sa demeure, traîné sur les pavés jusqu’à l’autel des Cordeliers, immolé à coups de sabre et à coups de bâton, foulé aux pieds, outragé jusque dans son cadavre, victime expiatoire étendue aux pieds de la statue offensée. La garde nationale et un détachement sorti du fort avec deux pièces de canon refoulèrent le peuple ameuté, et ramassèrent sur le pavé de l’église le corps nu et inanimé de Lescuyer. Mais les prisons de la ville avaient été forcées, et les scélérats qu’elles renfermaient allaient offrir leurs bras à d’autres assassinats. D’horribles représailles étaient à craindre, et cependant les médiateurs, absents de la ville, s’endormaient sur le danger ou fermaient les yeux. Des intelligences sourdes se nouaient entre les meneurs des clubs de Paris et les révolutionnaires d’Avignon.