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père, tenant d’une main un livre, de l’autre un outil de graveur. Ce portrait est la définition symbolique de la condition sociale où était née madame Roland, au point précis entre le travail des mains et le travail de la pensée.

Son père, Gratien Philipon, était graveur et peintre en émail. Il joignait à ces deux professions le commerce des diamants et des bijoux. C’était un homme aspirant toujours plus haut que ses forces, un aventurier d’industrie, qui brisait sans cesse sa modeste fortune en voulant l’étendre à la proportion de ses rêves et de son ambition. Il adorait sa fille et ne se contentait pas pour elle des perspectives de l’atelier. Il lui donnait l’éducation des plus hautes fortunes, comme la nature lui avait donné le cœur des plus grandes destinées. On sait ce que des caractères comme celui de cet homme apportent à la fois de chimères, de gêne et de malheur dans leur intérieur.

La jeune fille grandissait dans cette atmosphère de luxe d’esprit et de ruine réelle. Douée d’un jugement prématuré, elle démêlait déjà ces déréglements de famille ; elle se réfugiait dans la raison de sa mère contre les illusions de son père et contre les pressentiments de l’avenir.

Marguerite Bimont, sa mère, avait apporté à son mari une beauté sereine et une âme supérieure aussi à sa destinée ; mais une piété angélique et la résignation qu’elle inspire la prémunissaient à la fois contre l’ambition et contre le désespoir. Mère de sept enfants qui tous lui avaient été arrachés du sein par la mort, elle avait concentré sur sa fille unique toute sa puissance d’aimer. Mais son amour même la garantissait de toute faiblesse dans l’éducation qu’elle donnait à son enfant. Elle tenait dans un juste équilibre son cœur et son intelligence, son imagination et sa