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tion. Je leur dis que le décret ayant été rendu la veille presque à l’unanimité, il paraissait impossible de compter sur un retour si subit et si scandaleux d’opinion. « Nous sommes sûrs de la majorité, » répondirent-ils. Je quittai alors la place et j’allai en prendre une autre. J’y entendis les mêmes propos. Je me réfugiai alors dans cette partie de la salle qui fut si longtemps le sanctuaire du patriotisme. Mêmes discours, même apostasie. La nuit avait tout acheté. La preuve que ce travail de corruption s’était accompli avant la délibération, c’est que tous les orateurs qui ont pris la parole contre les décrets avaient à la main leurs discours écrits ! D’où vient cette surprise des patriotes ? C’est que les membres purs de la législature ne se connaissaient pas entre eux. C’est qu’ils ne se sont pas encore rencontrés ni comptés ici. Vous leur avez, il est vrai, ouvert vos portes, ils sont entrés pour examiner votre contenance et sonder vos forces, mais ils ne sont pas encore affiliés et ils n’ont pas puisé encore dans votre fréquentation et dans vos discours cette confiance et ce patriotisme qui sont la seconde âme du citoyen ! »

Le peuple, qui aspirait au repos après tant de journées d’agitation, qui manquait de travail, d’argent et de pain, intimidé de plus par les approches d’un hiver sinistre, vit avec indifférence la tentative et la rétractation de l’Assemblée. Il laissa impunément outrager les députés qui avaient soutenu les décrets. Goupilleau, Couthon, Basire, Chabot, furent menacés au sein de l’Assemblée même par des officiers de la garde nationale. « Prenez garde à vous ! leur disaient ces soldats du peuple gagnés au trône. Nous ne voulons pas que la Révolution fasse un pas de plus. Nous vous connaissons, nous aurons les yeux sur vous ; nous vous