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puissances et aux aristocraties contre la Révolution. Jamais, depuis les grandes migrations des peuples antiques fuyant les invasions romaines, on n’avait vu un mouvement de terreur et de perturbation pareil jeter hors du territoire tout le clergé et toute l’aristocratie d’une nation. Il se fit un vide immense en France : d’abord sur les marches mêmes du trône, puis dans la cour, dans les châteaux, dans les dignités ecclésiastiques, et enfin dans les rangs de l’armée. Les officiers, tous nobles, émigrèrent en masse ; la marine suivit un peu plus tard l’exemple de l’armée de terre, mais elle quitta aussi le drapeau. Ce n’est pas que le clergé, la noblesse, les officiers de terre et de mer fussent plus séquestrés que les autres classes du mouvement d’idées révolutionnaires qui avait soulevé la nation en 1789 ; au contraire, le mouvement avait commencé par eux. La philosophie avait d’abord éclairé la cime de la nation. La pensée du siècle était surtout dans les classes élevées ; mais ces classes, qui voulaient une réforme, ne voulaient pas une désorganisation. Quand elles avaient vu l’agitation morale des idées se transformer en insurrection du peuple, elles avaient tremblé. Les rênes du gouvernement violemment arrachées au roi par Mirabeau et La Fayette au Jeu de Paume, les attentats des 5 et 6 octobre, les priviléges supprimés sans compensation, les titres abolis, l’aristocratie livrée à l’exécration, au pillage, aux incendies et même aux meurtres dans les provinces, la religion dépossédée et contrainte de se nationaliser par un serment constitutionnel, enfin la fuite du roi, son emprisonnement dans son palais, les menaces de mort que la presse patriotique ou que la tribune des sociétés populaires vomissaient contre les aristocraties, les émeutes triomphantes dans les villes, la dé-