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enrôla par milliers dans toute l’Europe, et surtout en France. Les rois se souvenaient encore du moyen âge et des trônes outragés par les papes. Ils ne voyaient pas sans ombrage et sans haine secrète ce clergé aussi puissant qu’eux sur les peuples, qui, sous le titre de cardinaux, d’aumôniers, d’évêques ou de confesseurs, dictait ses croyances jusque dans les cours. Les parlements, ce clergé civil, corps redoutable aux souverains eux-mêmes, détestaient le corps du clergé tout en protégeant la foi de leurs arrêts. La noblesse, guerrière, corrompue, ignorante, penchait tout entière vers l’incrédulité qui la délivrait d’une morale. Enfin, la bourgeoisie lettrée ou savante préludait à l’émancipation du tiers état par l’insurrection de la pensée. Tels étaient les éléments de la révolution religieuse. Voltaire s’en empara à l’heure juste, avec ce coup d’œil de la passion, qui voit plus clair que le génie lui-même. À un siècle enfant, léger et irréfléchi, il ne présenta pas la raison sous la forme austère d’une philosophie, mais sous la forme d’une liberté facile des idées et d’une ironie moqueuse. Il n’aurait pas réussi à faire penser son temps, il réussissait à le faire sourire. Il n’attaqua jamais en face, ni à visage découvert, pour ne pas mettre les lois contre lui et pour éviter le bûcher de Servet. Ésope moderne, il attaqua sous des noms supposés la tyrannie qu’il voulait détruire. Il cacha sa haine dans le drame, dans la poésie légère, dans le roman, dans l’histoire et jusque dans les facéties. Son génie fut une perpétuelle allusion comprise de tout son siècle, mais insaisissable à ses ennemis. Il frappait en cachant la main. Ainsi ce combat d’un homme contre un sacerdoce, d’un individu contre une institution, d’une vie contre dix-huit siècles, n’eut pourtant qu’un semblant d’audace.