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des prisons d’État ; d’autres enfin, les bustes de Voltaire, de Rousseau, de Mirabeau, se pressaient entre l’armée et le peuple. Sur un brancard, on voyait étalé le procès-verbal des électeurs de 89, cette hégire de l’insurrection. Sur un autre pavois, les citoyens du faubourg Saint-Antoine montraient un plan en relief de la Bastille, le drapeau du donjon, et une jeune fille vêtue en amazone, qui avait combattu avec eux au siége de cette place forte. Des piques, surmontées du bonnet phrygien de la liberté, se dressaient çà et là au-dessus des têtes de cette multitude. On lisait sur un écriteau porté au bout d’une de ces piques : De ce fer naquit la liberté.

Tous les acteurs et toutes les actrices des théâtres de Paris suivaient la statue de celui qui les avait inspirés pendant soixante ans. Les titres de ses principaux ouvrages étaient gravés sur les faces d’une pyramide qui représentait son immortalité. Sa statue, dorée et couronnée de laurier, était portée par des citoyens revêtus des costumes des peuples et des âges dont il avait peint les mœurs. Une cassette, également dorée, renfermait les soixante-dix volumes de ses œuvres. Les membres des corps savants et des principales académies du royaume environnaient cette arche de la philosophie. De nombreux orchestres, les uns ambulants, les autres distribués sur la route du cortége, saluaient de symphonies éclatantes le passage du char et remplissaient l’air de l’enthousiasme harmonieux de cette multitude. Ce cortége faisait des stations à la porte des principaux théâtres ; on chantait des hymnes à la gloire de son génie, et on se remettait en marche. Arrivé ainsi sur le quai qui portait le nom de Voltaire, le char s’arrêta devant la maison de M. de Villette, où Voltaire était mort et où l’on avait gardé