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l’Observateur, Laclos dans le Journal des Jacobins, Fauchet dans la Bouche de fer, Royou dans l’Ami du roi, Champcenetz, Rivarol dans les Actes des apôtres, Suleau et André Chénier dans plusieurs feuilles royalistes ou modérées, agitaient en tout sens et se disputaient l’esprit du peuple. C’était la tribune antique transportée au domicile de chaque citoyen et appropriant son langage à toutes les classes, même aux plus illettrées. La colère, le soupçon, la haine, l’envie, le fanatisme, la crédulité, l’injure, la soif du sang, les paniques soudaines, la démence et la raison, la révolte et la fidélité, l’éloquence et la sottise, avaient chacun leur organe dans ce concert de toutes les passions civiles. La ville s’enivrait tous les soirs de ces passions fermentées. Tout travail était ajourné. Son seul travail, c’était le trône à surveiller, les complots réels ou imaginaires de l’aristocratie à prévenir, la patrie à sauver. Les vociférations des colporteurs de ces feuilles publiques, les chants patriotiques des Jacobins sortant des clubs, les rassemblements tumultueux, les convocations aux cérémonies patriotiques, les terreurs factices sur les subsistances, tenaient les masses de la ville et des faubourgs dans une continuelle tension. La pensée publique ne laissait dormir personne. L’indifférence eût semblé trahison. Il fallait feindre la fureur pour être à la hauteur de l’esprit public. Chaque circonstance accroissait les pulsations de cette fièvre. La presse la soufflait dans toutes les veines de la nation. Son langage tenait déjà du délire. La langue s’avilissait jusqu’au cynisme. Elle empruntait à la populace même ses proverbes, sa trivialité, ses obscénités, ses rudesses, et jusqu’à ces jurements dont elle entrecoupe ses paroles, comme pour asséner avec plus de force les coups