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la place, il regarda un moment la foule, s’agenouilla et fit un signe de la main au bourreau, comme pour l’avertir qu’il était prêt. Il se fit un grand silence, car chacun crut que le moment suprême était arrivé. Mais le bourreau se pencha vers lui pour lui demander quel était son dernier désir : ainsi le veut la loi musulmane. Le Wahabi demanda le temps de faire une dernière prière, puis il se tourna du côté de l’orient et pria pendant quelques minutes, aussi calme que s’il eût été dans sa mosquée de Darkisch. Quand il se releva, il riait d’un air moqueur, comme un homme qui raille et qui méprise du fond de l’âme. Cet éclat de rire sous le sabre qui allait trancher sa tête parut si étrange aux officiers du sultan qui assistaient au supplice, qu’ils se pressèrent autour du patient pour lui en demander la cause.

« Je ris, répondit-il, de la folie du sultan et de la vanité de sa colère. Il ne pense qu’au jour de sa vengeance, sans s’inquiéter du lendemain. Je suis en son pouvoir, ma tête est sous le fil de son sabre, il peut la faire tomber quand il voudra d’un signe de sa main ; et il se hâte de me tuer comme un enfant étourdi qui casse une branche dont les épines l’ont piqué, sans songer à cueillir ses fruits. N’aurait-il pas dû, avant d’ordonner mon supplice, s’informer de mes plans, de mes secrets, de la richesse de mon trésor, du nombre de mes tentes, de la puissance de mon armée ; demander combien de milliers d’hommes avaient combattu sous mes drapeaux, combien étaient morts dans mes défaites, comment j’étais monté au trône du désert, pourquoi j’avais conquis le Hégias et changé la religion de ses tribus ? Encore une fois, le sultan est un insensé, et sa vengeance est celle d’un enfant sans barbe. »