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Et, se répandant de plus en plus en invectives contre les Turcs, il blâma l’usage de la pipe, du vin et des viandes impures. Je me trouvai trop heureux de m’être tiré adroitement de questions périlleuses, pour oser le contredire sur des points insignifiants, et je le laissai croire que je méprisais l’usage de cette mauvaise herbe (c’est ainsi qu’il appelait le tabac) ; ce qui fit sourire le drayhy, qui savait bien que pour moi le plus grand sacrifice possible était la privation de fumer, et que je profitais de tous les instants où je pouvais impunément tirer ma bien-aimée pipe de sa cachette. Ce jour-là surtout, j’en sentais un extrême besoin, ayant beaucoup parlé et pris du café moka très-chargé.

Le roi parut enchanté de notre conversation, et me dit :

« Je vois qu’on apprend toujours quelque chose. J’avais cru jusqu’ici que les chrétiens étaient les plus superstitieux des hommes, et maintenant je suis convaincu qu’ils approchent beaucoup plus de la vraie religion que les Turcs. »

À tout prendre, Ebn-Sihoud est un homme instruit et d’une rare éloquence, mais fanatique dans ses opinions religieuses ; il a une femme légitime et une esclave, deux fils mariés, et une fille jeune encore. Il ne mange que des aliments préparés par ses femmes, de peur d’être empoisonné ; la garde de son palais est confiée à une troupe de mille nègres bien armés. Il peut, du reste, réunir dans ses États quinze cent mille Bédouins capables de porter les armes. Lorsqu’il veut nommer un gouverneur de province, il fait appeler celui auquel il destine ce poste, et l’invite à manger