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champ de bataille. Cette victoire augmenta encore la réputation du drayhy, et combla de joie Scheik-Ibrahim, qui s’écria : « Grâces à Dieu, nos affaires vont bien ! »

N’ayant plus d’ennemis à craindre dans le désert de Syrie, Scheik-Ibrahim se sépara pour quelque temps du drayhy, et fut à Homs acheter des marchandises et écrire en Europe. Pendant notre séjour en cette ville, il me laissa liberté entière de me divertir et de me reposer de toutes mes fatigues : je faisais chaque jour des parties de campagne avec des jeunes gens de mes amis, et jouissais doublement de cette vie de plaisir, par le contraste de celle que j’avais menée chez les Bédouins. Mais, hélas ! ma joie devait être de courte durée, et se changer promptement en tristesse amère ! Un messager, qui avait été à Alep chercher de l’argent pour M. Lascaris, me rapporta une lettre de ma mère, plongée dans la plus grande affliction par suite de la mort de mon frère aîné, emporté par la peste. Sa lettre était incohérente à force de douleur. Elle ne savait ce que j’étais devenu depuis près de trois ans, et me conjurait, si j’étais encore en vie, d’aller la trouver. Cette affreuse nouvelle me priva de l’usage de mes sens, et je restai trois jours sans savoir où j’étais, et sans vouloir prendre aucune nourriture. Grâce aux soins de M. Lascaris, peu à peu je repris connaissance ; mais tout ce que je pus obtenir de lui, fut d’écrire à ma pauvre mère ; et encore ne pus-je lui envoyer ma lettre que la veille de notre départ, de peur qu’elle ne vînt elle-même me trouver. Mais je passe sur les détails de mes sentiments personnels, qui ne peuvent intéresser le lecteur, pour revenir à notre voyage. Le drayhy nous ayant avertis qu’il partirait bientôt pour le levant, nous nous hâtâmes de nous