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rageuse. Son scheik, Giassem, était un ancien ami du drayhy ; mais il ne savait ni lire ni écrire, et il devenait dès lors dangereux de lui adresser une lettre qui lui serait lue par un Turc, ce qui pourrait nuire essentiellement à nos affaires, comme nous l’avions appris à nos dépens par l’exemple de l’écrivain Absi. Ce fut donc encore moi qu’on chargea d’aller le trouver ; je partis avec une escorte de six hommes, tous montés sur des dromadaires. Nous arrivâmes, au bout de deux jours, à l’endroit désigné ; mais, à notre grand déplaisir, la tribu avait levé le camp, et nous ne trouvâmes aucun indice du chemin qu’elle avait pris. Nous passâmes la nuit sans boire ni manger, et délibérâmes le lendemain sur ce que nous avions à faire. Le plus pressé était d’aller à la recherche de l’eau ; car, comme on sait, la soif est encore plus insupportable que la faim, et nous pouvions raisonnablement espérer de rencontrer à la fois les sources et la tribu. Nous errâmes trois jours entiers, sans trouver ni eau ni nourriture. Mon palais était tellement desséché que je ne pouvais plus remuer la langue, ni articuler un son ; j’avais épuisé tous les moyens de tromper la soif, mettant des cailloux et des balles de plomb dans ma bouche ; mon visage était devenu noir, mes forces m’abandonnaient. Tout à coup mes compagnons s’écrient : Gioub-el-Ghamin[1] ! et se précipitent en avant.

Ces hommes endurcis à la fatigue soutiennent les privations d’une manière inconcevable, et ils étaient loin de l’état déplorable auquel je me trouvais réduit. Les voyant partir, l’irritation de mes nerfs, excités par l’extrême fa-

  1. Nom d’un puits connu dans le désert.