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esprits à nous seconder ; car, disait-il, « on déracine un arbre par une de ses branches. »

Quelques jours de marche nous ramenèrent en Mésopotamie. Nous mîmes deux jours à traverser l’Euphrate près de Mansouri, et à sortir du désert appelé El-Hamad. Nous campâmes dans un lieu où il n’y a pas d’eau potable ; on en trouve en faisant des trous profonds, mais elle sert seulement pour le bétail ; les hommes n’en peuvent boire. Cet endroit s’appelle Halib-el-Dow, parce qu’on ne se désaltère qu’avec du lait.

Nous allâmes de là à El-Sarha, lieu abondamment fourni d’eau et de pâturages ; nous espérions nous y dédommager de nos privations, mais une circonstance particulière nous en dégoûta promptement. Le terrain y est couvert d’une herbe appelée el-khraffour, que les chameaux mangent avec avidité, et qui a la propriété de les enivrer au point de les rendre fous. Ils courent à droite et à gauche, brisant tout ce qu’ils rencontrent, renversant les tentes et poursuivant les hommes.

Pendant quarante-huit heures, personne ne put fermer l’œil ; les Bédouins étaient constamment occupés à calmer la fureur des chameaux et à les maîtriser. Une guerre véritable m’eût semblé préférable à cette lutte continuelle avec des animaux dont la force prodigieuse, exaltée par le délire, présentait des dangers incalculables. Mais il paraît que le triomphe de l’adresse sur la force a de grands charmes pour ces enfants de la nature ; car lorsque je fus trouver le drayhy pour déplorer l’état de fièvre où nous tenait cette