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Depuis ce moment, notre temps se passait très-désagréablement chez les Bédouins. Nous ne pouvions les quitter, car tous les hommes qui s’éloignaient des tentes étaient massacrés. C’étaient des attaques continuelles de part et d’autre, — des changements de camp à l’improviste, pour se mettre plus en sûreté, — des alarmes, des représailles, des disputes continuelles entre Mehanna et son fils ; mais le vieillard était d’un caractère si bon et si crédule, que Nasser finissait toujours par lui persuader qu’il avait raison.

On nous raconta mille traits de sa simplicité : entre autres qu’étant à Damas pendant que Yousouf-Pacha, grand vizir de la Porte, y tenait sa cour au retour d’Égypte, après le départ des Français, Mehanna s’était présenté chez lui comme tous les grands ; mais, peu au fait de l’étiquette turque, il l’avait accosté sans cérémonie, avec le salut des Bédouins, et s’était placé sur le divan à ses côtés, sans attendre d’y être invité. — Yousouf, également peu accoutumé aux usages des Bédouins, et ignorant la dignité de ce petit vieillard mal vêtu, qui le traitait si familièrement, ordonne qu’on l’éloigne de sa présence et qu’on lui coupe la tête. — Les esclaves l’emmènent et se préparent à exécuter cet ordre, lorsque le pacha de Damas s’écrie : « Arrêtez ! qu’allez-vous faire ? — S’il tombe un cheveu de sa tête, vous ne pourrez plus, avec toute votre puissance, envoyer une caravane à la Mecque. »

Le vizir se hâta de le faire ramener, et le plaça à ses côtés : il lui donna le café, le fit revêtir d’un turban de cachemire, d’une riche gombaz (robe), d’une pelisse d’honneur, et lui présenta mille piastres. — Mehanna, sourd et d’ail-