Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 8.djvu/166

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Nasser, fier de sa nouvelle dignité, affectait de lire cette ordonnance à tout le monde et de parler turc avec l’officier du pacha, ce qui augmentait encore le mécontentement des Bédouins. Un jour que nous étions près de lui, arriva un très-beau jeune homme, nommé Zarrak, chef d’une tribu voisine. Nasser, comme de coutume, parle de sa nomination, vante la grandeur du vizir de Damas et du sultan de Constantinople, qui a le sabre long[1]. Zarrak, qui l’écoute avec impatience, change de couleur, se lève et lui dit : « Nasser-Aga[2], apprends que tous les Bédouins te détestent. Si tu te laisses éblouir par la magnificence des Turcs, va à Damas, orne ton front du caouk[3], sois le ministre du vizir, habite son palais : peut-être alors imprimeras-tu la terreur aux Damasquins ; mais nous, Bédouins, nous ne faisons pas plus de cas de toi, de ton vizir et de ton sultan, que d’un crottin de chameau. Je vais partir pour le territoire de Bagdad, où je trouverai le drayhy[4] Ebn-Chahllan : c’est à lui que je me joindrai. »

Nasser, à son tour, pâlissant de colère, transmit cette conversation en turc au chokredar, qui crut par de violentes menaces épouvanter Zarrak. Mais celui-ci, le regardant fièrement, lui dit : « C’en est assez ; bien que vous ayez Nasser à vos côtés, je puis, si je le veux, vous empêcher à jamais de manger du pain. » Malgré ces paroles offensantes, tous les trois gardèrent leur sang-froid, et Zarrak, remontant à cheval, dit à Nasser : « Las salam aleik (je te salue). Dé-

  1. Expression arabe pour désigner une domination étendue.
  2. Titre d’un officier turc ; dénomination dérisoire pour un Bédouin.
  3. Turban de cérémonie des Turcs.
  4. Le destructeur des Turcs.