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première fois que cela nous arrivait, aussi nous brûlâmes-nous les doigts. Mehanna s’en étant aperçu :

« Vous n’êtes pas habitués, dit-il, à manger comme nous ?

» — Il est vrai, répondit Scheik-Ibrahim ; mais pourquoi ne vous servez-vous pas de cuillers ? il est toujours possible d’en avoir, ne fussent-elles qu’en bois.

» — Nous sommes Bédouins, répliqua l’émir, et nous tenons à conserver les usages de nos ancêtres, que du reste nous trouvons bien fondés. La main et la bouche sont des parties de notre corps que Dieu nous a données pour s’aider l’une l’autre : pourquoi donc se servir d’une chose étrangère, en bois ou en métal, pour arriver à sa bouche, lorsque la main est naturellement faite pour cela ? »

Nous dûmes approuver ces raisons, et je fis remarquer à Scheik-Ibrahim que Mehanna était le premier philosophe bédouin que nous eussions rencontré.

Le lendemain, l’émir fit tuer un chameau pour nous régaler ; et j’appris que c’était une grande marque de considération, les Bédouins mesurant à l’importance de l’étranger l’animal qu’ils tuent pour le recevoir. On commence par un agneau et on finit par un chameau. C’était la première fois que nous mangions de la chair de cet animal ; nous la trouvâmes un peu fade.

L’émir Mehanna était un homme de quatre-vingts ans, petit, maigre, sourd, et très-mal vêtu. Sa haute influence