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tagne du Géant à une demi-lieue de la flotte, se détache, avec ses tentes blanches et bleues, de la sombre verdure et des pentes brûlées de la montagne. Le soir, les jardins de l’ambassade russe étaient illuminés par des milliers de lampions suspendus à toutes les branches de ses forêts. Les vaisseaux, illuminés aussi sur tous les mâts, sur toutes les vergues, sur tous les cordages, ressemblaient à des navires de feu dont l’incendie fait partir les batteries. Leurs flancs vomissaient des torrents d’éclairs, et le camp des troupes de débarquement, éclairé par de grands feux sur les caps et sur les mamelons des montagnes d’Asie, se réfléchissait en traînées lumineuses dans la mer, et jetait les lueurs d’un incendie dans tout l’immense lit du Bosphore. Le Grand Seigneur arrivait, au milieu de cette nuit étincelante, sur un bâtiment à vapeur qui venait se ranger sous les terrasses du palais de Russie, pour jouir du spectacle qui lui était offert. On le voyait sur le pont du bâtiment, entouré de son vizir et de ses pachas favoris. Il est resté à bord, et a envoyé le grand vizir assister au souper du comte Orloff. Des tables immenses dressées sous les longues avenues des platanes, et d’autres tables cachées dans tous les bosquets des jardins, étaient couvertes d’or et d’argent qui répercutait les clartés des arbres illuminés. À l’heure la plus sombre de la nuit, un peu avant le lever de la lune, un feu d’artifice, porté sur les flots dans des radeaux, au milieu du Bosphore, à égale distance des trois rivages, s’est élancé dans les airs, a couru sur les flots, et répandu une clarté sanglante sur les montagnes, sur la flotte, et sur cette foule innombrable de spectateurs dont les caïques couvraient la mer. Jamais plus beau spectacle ne peut frapper un regard d’homme : on eût dit que la voûte des nuits se déchirait, et laissait voir un coin