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plusieurs piastres dans la main de l’un d’eux pour qu’il distribuât sa corbeille à un groupe de petits enfants nègres, qui dévorèrent ces pâtisseries.

Je remarquai là une pauvre négresse de dix-huit ou vingt ans, remarquablement belle, mais d’une beauté dure et chagrine. Elle était assise sur un banc de la galerie, le visage découvert et richement vêtue, au milieu d’une douzaine d’autres négresses en haillons exposées en vente à très-bas prix ; elle tenait sur ses genoux un superbe petit garçon de trois ou quatre ans, magnifiquement habillé aussi. Cet enfant, qui était mulâtre, avait les traits les plus nobles, la bouche la plus gracieuse et les yeux les plus intelligents et les plus fiers qu’il soit possible de se figurer. Je jouai avec lui, et je lui donnai des gâteaux et des dragées que j’achetai d’une échoppe voisine ; mais sa mère lui arrachant des mains ce que je lui avais donné, le rejeta avec colère et fierté sur le pavé. Elle tenait le visage baissé et pleurait ; je crus que c’était par crainte d’être vendue séparément de son fils, et, touché de son infortune, je priai M. Morlach, mon obligeant conducteur, de l’acheter avec l’enfant pour mon compte. Je les aurais emmenés ensemble, et j’aurais élevé le bel enfant en le laissant auprès de la mère. Nous nous adressâmes à un courtier de la connaissance de M. Morlach, qui entra en pourparler avec le propriétaire de la belle esclave et de l’enfant. Le propriétaire fit d’abord semblant de vouloir effectivement la vendre, et la pauvre femme se mit à sangloter plus fort, et le petit garçon se prit à pleurer aussi en passant ses bras autour du cou de sa mère. Mais ce marché n’était qu’un jeu de la part du marchand ; et quand il vit que nous donnions tout de suite le prix élevé qu’il avait mis