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enfants, arrivant ou partant sans cesse dans leurs caïques pleins de branchages et de fleurs ; le bras du Bosphore plus sombre et plus étroit que l’on commence à découvrir, étendu vers l’horizon brumeux de la mer Noire ; d’autres chaînes de montagnes, entièrement dégarnies de villages et de maisons, et s’élevant dans les nues avec leurs noires forêts, comme des limites redoutables, entre les orages de la mer, des tempêtes, et la magnifique sérénité des mers de Constantinople ; deux châteaux forts, en face l’un de l’autre, sur chaque rive, couronnant de leurs batteries, de leurs tours et de leurs créneaux les hauteurs avancées de deux sombres caps ; puis, enfin, une double ligne de rochers tachés de forêts, allant mourir dans les flots bleus de la mer Noire : voilà le coup d’œil de Buyukdéré. Ajoutez-y le passage perpétuel d’une file de navires venant à Constantinople ou sortant du canal, selon que le vent souffle du nord ou du midi. Ces navires sont si nombreux quelquefois, qu’un jour, en revenant dans mon caïque, j’en comptai près de deux cents en moins d’une heure. Ils voguent par groupes, comme des oiseaux qui changent de climats ; si le vent varie, ils courent des bordées d’un rivage à l’autre, allant virer de bord sous les fenêtres ou sous les arbres de l’Asie ou de l’Europe ; si la brise fraîchit, ils mouillent dans une des innombrables anses ou à la pointe des petits caps du Bosphore ; ils se couvrent de nouveau de voiles un moment après. À chaque minute, le paysage, vivifié et modifié par ces groupes de bâtiments à la voile ou à l’ancre, et par les diverses positions qu’ils prennent le long des terres, change l’aspect du paysage, et fait du Bosphore un kaléidoscope merveilleux.