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c’est-à-dire pendant deux ou trois lieues. Elles deviennent ensuite un peu plus rares, et le paysage prend un caractère plus agreste par l’élévation croissante des collines et la profondeur des forêts. Je ne parle ici que de la côte d’Europe, parce que je décrirai au retour la côte d’Asie, bien plus belle encore ; mais il ne faut pas oublier, pour se faire une image exacte, que cette côte d’Asie n’est qu’à quelques coups de rames de moi ; que souvent on est aussi rapproché de l’une que de l’autre, en tenant le milieu du courant dans les endroits où le canal se rétrécit et se coude, et que les mêmes scènes que je peins en Europe ravissent le regard chaque fois qu’il tombe sur la côte d’Asie.

Mais je reviens à la rive que je touche de plus près. Il y a un endroit, après le dernier de ces ports naturels, où le Bosphore s’encaisse, comme un large et rapide fleuve, entre deux caps de rochers qui descendent à pic du haut de ses doubles montagnes ; le canal, qui serpente, semble à l’œil fermé là tout à fait ; ce n’est qu’à mesure qu’on avance, qu’on le voit se déplier et tourner derrière le cap de l’Europe, puis s’élargir et se creuser en lac, pour porter les deux villes de Thérapia et de Buyukdéré. Du pied au sommet de ces deux caps de rochers revêtus d’arbres et de touffes épaisses de végétation, montent des fortifications à demi ruinées, et s’élancent d’énormes tours blanches, crénelées, avec des ponts-levis et des donjons, de la forme des belles constructions du moyen âge. Ce sont les fameux châteaux d’Europe et d’Asie, d’où Mahomet II assiégea et menaça si longtemps Constantinople avant d’y pénétrer. Ils s’élèvent, comme deux fantômes blancs, du sein noir des pins et des cyprès, comme pour fermer l’accès de ces deux