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Conduit, par quatre rameurs arnautes, dans un de ces longs caïques qui fendent la mer comme un poisson, je me suis embarqué seul, à sept heures du matin, par un ciel pur et par un soleil éclatant. Un interprète couché dans la barque, entre les rameurs et moi, me disait les noms et les choses. Nous avons longé d’abord les quais de Tophana, avec sa caserne d’artillerie. La ville de Tophana s’élevant en gradins de maisons peintes, comme des bouquets de fleurs groupés autour de la mosquée de marbre, allait mourir sous les hauts cyprès du grand champ des Morts de Péra. Ce rideau de bois sombre termine les collines de ce côté. Nous glissions à travers une foule de bâtiments à l’ancre, et de caïques innombrables qui ramenaient à Constantinople les officiers du sérail, les ministres et leurs kiaias, et les familles des Arméniens que l’heure du travail rappelle à leurs comptoirs. Ces Arméniens sont une race d’hommes superbes, vêtus noblement et simplement d’un turban noir et d’une longue robe bleue, nouée au corps par un châle de cachemire blanc ; leurs formes sont athlétiques ; leurs physionomies intelligentes, mais communes ; le teint coloré, l’œil bleu, la barbe blonde ; ce sont les Suisses de l’Orient : laborieux, paisibles, réguliers comme eux, mais comme eux calculateurs et cupides : ils mettent leur génie trafiquant aux gages du sultan ou des Turcs ; rien d’héroïque ni de belliqueux dans cette race d’hommes : le commerce est leur génie ; ils le feront sous tous les maîtres. Ce sont les chrétiens qui sympathisent le mieux avec les Turcs. Ils prospèrent, et accumulent les richesses que les Turcs négligent, et qui échappent aux Grecs et aux Juifs : tout est ici entre leurs mains ; ils sont les drogmans de tous les pachas et de tous les vizirs. Leurs femmes, dont les traits aussi purs, mais