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chant viennent à raser les cimes des arbres et des minarets, et à enflammer, comme des réverbérations d’incendie, les murs rouges de Scutari et de Stamboul ; si le vent qui fraîchit ou qui tombe aplatit la mer de Marmara comme un lac de plomb fondu, ou, ridant légèrement les eaux du Bosphore, semble étendre sur elles les mailles resplendissantes d’un vaste filet d’argent ; si la fumée des bateaux à vapeur s’élève et tournoie au milieu des grandes voiles frissonnantes des vaisseaux ou des frégates du sultan ; si le canon de la prière retentit, en échos prolongés, du pont des bâtiments de la flotte jusque sous les cyprès du champ des Morts ; si les innombrables bruits des sept villes et des milliers de bâtiments s’élèvent par bouffées de la ville et de la mer, et vous arrivent, portés par la brise, jusque sur la colonne d’où vous planez ; si vous pensez que ce ciel est presque toujours aussi profond et aussi pur, que ces mers et ces ports naturels sont toujours tranquilles et sûrs, que chaque maison de ces longs rivages est une anse où le navire peut mouiller en tout temps sous les fenêtres, où l’on construit et on lance à la mer des vaisseaux à trois ponts sous l’ombre même des platanes du rivage ; si vous vous souvenez que vous êtes à Constantinople, dans cette ville reine de l’Europe et de l’Asie, au point précis où ces deux parties du monde sont venues, de temps en temps, ou s’embrasser ou se combattre ; si la nuit vous surprend dans cette contemplation dont jamais l’œil ne se lasse ; si les phares de Galata, du sérail, de Scutari, et les lumières des hautes poupes de vaisseaux, s’allument ; si les étoiles se détachent peu à peu, une à une ou par groupes, du bleu firmament, et enveloppent les noires cimes de la côte d’Asie, les cimes de neige de l’Olympe, les îles des Princes dans la mer de Marmara, le sombre plateau du sé-