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mer de Marmara : le reste est relégué dans l’Asie Mineure, et périt en route. L’empire est délivré ; le sultan, plus absolu qu’aucun prince ne le fut jamais, n’a plus que des esclaves obéissants ; il peut à son gré régénérer l’empire.

Le plus beau point de vue de Constantinople est au-dessus de notre appartement, du haut d’un belvédère bâti par M. Truqui, sur le toit en terrasse de sa maison. Ce belvédère domine le groupe entier des collines de Péra, de Galata, et des coteaux qui environnent le port du côté des eaux douces. C’est le vol de l’aigle au-dessus de Constantinople et de la mer. L’Europe, l’Asie, l’entrée du Bosphore et la mer de Marmara sont sous le regard à la fois. La ville est à vos pieds. Si l’on n’avait qu’un coup d’œil à donner sur la terre, c’est de là qu’il faudrait la contempler. Je ne puis comprendre, chaque fois que j’y monte, et j’y monte plusieurs fois par jour, et j’y passe les soirées entières ; je ne puis comprendre comment, de tant de voyageurs qui ont visité Constantinople, si peu ont senti l’éblouissement que cette scène donne à mes yeux et à mon âme ; comment aucun ne l’a décrite. Serait-ce que la parole n’a ni espace, ni horizon, ni couleurs, et que le seul langage de l’œil, c’est la peinture ? Mais la peinture elle-même n’a rien rendu de tout ceci. Des lignes mortes, des scènes tronquées, des couleurs sans vie. Mais l’innombrable gradation et variété de ces teintes selon le ciel et l’heure ; mais l’ensemble harmonieux et la colossale grandeur de ces lignes ; mais les mouvements, les fuites, les enlacements de ces divers horizons ; mais le mouvement de ces voiles sur les trois mers ; mais le murmure de vie de ces populations entre ces rivages ; mais ces coups de canon qui tonnent et montent des vaisseaux, ces