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connue et déserte : un rocher qui vous garantit du vent ; un arbuste qui vous abrite de son tronc ou de son ombre ; un rayon de soleil qui chauffe le sable où vous êtes assis ; quelques lézards qui courent entre les pierres ; des insectes qui volent autour de vous ; un oiseau inquiet qui s’approche, et qui jette un cri d’alarme ; tout ce peu de choses, pour un homme qui habite la terre, est un monde tout entier pour le navigateur fatigué qui descend du flot. Mais le brick est là, qui se balance dans le golfe sur une mer houleuse, où il faudra remonter bientôt. Les matelots sont sur les vergues, occupés à sécher ou à raccommoder les grandes voiles déchirées ; le canot, qui monte et disparaît dans les ravines écumantes formées par les lames, va et vient sans cesse du navire au rivage ; il apporte des provisions à terre, ou de l’eau fraîche de l’aiguade au bâtiment ; ses mousses lavent leurs chemises de toile peinte, et les suspendent aux lentisques du rivage ; le capitaine étudie le ciel, attend le vent qui va tourner, pour rappeler, par un coup de canon, les passagers à leur vie de misère, de ténèbres et de mouvement. Bien qu’on soit pressé d’arriver, on fait en secret des vœux pour que le vent contraire ne tombe pas si vite, pour que la nécessité vous laisse un jour encore savourer cette volupté intime qui attache l’homme à la terre. On fait amitié avec la côte, avec la petite lisière de gazon ou d’arbustes qui s’étend entre la mer et les rochers ; avec la fontaine cachée sous les racines d’un vieux chêne vert ; avec ces lichens, avec ces petites fleurs sauvages que le vent secoue sans cesse entre les fentes des écueils, et qu’on ne reverra jamais. Quand le coup de canon du rappel part du navire ; quand le pavillon de signal se hisse au mât, et que la chaloupe se détache pour venir vous prendre, on pleurerait presque ce