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chiens sans maîtres errent le long du quai ; quelques-uns sont couchés dans les embouchures de canons à énormes calibres.

À mesure que le canot avançait le long de ces murailles, l’horizon devant nous s’élargissait, la côte d’Asie se rapprochait, et l’embouchure du Bosphore commençait à se tracer à l’œil, entre des collines de verdure sombre et des collines opposées, qui semblent peintes de toutes les nuances de l’arc-en-ciel : là, nous nous reposâmes encore ; la côte riante d’Asie, éloignée de nous d’environ un mille, se dessinait à notre droite, toute découpée de larges et hautes collines dont les cimes étaient de noires forêts à têtes aiguës, les flancs des champs entourés de franges d’arbres, semés de maisons peintes en rouge, et les bords des ravins à pic tapissés de plantes vertes et de sycomores, dont les branches trempent dans l’eau ; plus loin, ces collines s’élevaient davantage, puis redescendaient en plages vertes, et formaient un large cap avancé, qui portait comme une grande ville : c’était Scutari avec ses grandes casernes blanches, semblables à un château royal ; ses mosquées entourées de leurs minarets resplendissants, ses quais et ses anses bordés de maisons, de bazars, de caïques, à l’ombre, sous des treilles ou sous des platanes, et la sombre et profonde forêt de cyprès qui couvre la ville ; et, à travers leurs rameaux, brillaient, comme d’un éclat lugubre, les innombrables monuments blancs des cimetières turcs. Au delà de la pointe de Scutari, terminée par un îlot qui porte une chapelle turque et qu’on appelle le Tombeau de la Jeune Fille, le Bosphore, comme un fleuve encaissé, s’entr’ouvrait, et semblait fuir entre des montagnes sombres, dont les flancs de rochers, les