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des vagues, confondues avec les nuées ; elle tombe trois fois autour de nous : une fois, c’est au moment où le brick est jeté sur le flanc par une lame colossale ; les vergues plongent, les mâts frappent la vague, l’écume qu’ils font jaillir sous le coup s’élance comme un manteau de feu déchiré dont le vent disperse les lambeaux, semblables à des serpents de flamme ; tout l’équipage jette un cri ; nous semblons précipités dans un cratère de volcan : c’est l’effet de tempête le plus effrayant et le plus admirable que j’aie vu pendant cette longue nuit ; neuf heures de suite le tonnerre nous enveloppe ; à chaque minute nous croyons voir nos mâts enflammés tomber sur nous et embraser le navire. Le matin, le ciel est moins chargé, mais la mer ressemble à une lave bouillante ; le vent, qui tombe un peu et qui ne soutient plus le navire, rend le roulis plus lourd : nous devons être à trente lieues de l’île de Chypre. À onze heures nous commençons à apercevoir une terre ; d’heure en heure elle blanchit davantage : c’est Limasol, un des ports de cette île ; nous faisons force de voiles pour nous trouver plus tôt sous le vent : en approchant, la mer diminue un peu ; nous longeons les côtes à deux lieues de distance ; nous cherchons la rade de Larnaca, où nous apercevons déjà les mâts d’un grand nombre de bâtiments qui y ont cherché comme nous un refuge : le vent furieux se ravive, et nous y pousse en peu d’instants ; l’impulsion du navire est si forte, que nous craignons de briser nos câbles en jetant l’ancre : enfin l’ancre est tombée ; elle chasse quelques brasses et mord le fond. Nous sommes sur une mer encore clapoteuse, mais dont les vagues ne font que nous bercer sans péril ; je revois les mâts de pavillon des consuls européens de Chypre qui nous saluent, et la terrasse du consulat de France, où