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torture dans tous les sens, écrasé par l’une, relevé par l’autre ; lancé dans un sens par une lame, arrêté par une autre qui lui imprime de force une direction nouvelle, il se jette tantôt sur un flanc, tantôt sur l’autre ; il plonge la proue en avant comme s’il allait s’engloutir ; la mer qui court sur lui fond sur sa poupe, et le traverse d’un bord à l’autre ; de temps en temps il se relève ; la mer, écrasée par le vent, semble n’avoir plus de vagues et n’être qu’un champ d’écumes tournoyantes ; il y a comme des plaines, entre ces énormes collines d’eau, qui laissent reposer un instant les mâts : mais on rentre bientôt dans la région des hautes vagues ; on roule de nouveau de précipices en précipices.

Dans ces alternatives horribles, le jour s’écoule ; le capitaine me consulte : les côtes d’Égypte sont basses ; on peut y être jeté sans les avoir aperçues ; les côtes de Syrie sont sans rade et sans port ; il faut se résoudre à mettre en panne au milieu de cette mer, ou suivre le vent qui nous pousse vers Chypre. Là, nous aurions une rade et un asile ; mais nous en sommes à plus de quatre-vingts lieues. Je fais mettre la barre sur l’île de Chypre ; le vent nous fait filer trois lieues à l’heure, mais la mer ne baisse pas. Quelques gouttes de bouillon froid soutiennent les forces de ma femme et de mes compagnons, toujours couchés dans leurs hamacs. Je mange moi-même quelques morceaux de biscuit, et je fume avec le capitaine et le second, toujours dans la même attitude sur le pont, près de l’habitacle, les mains passées dans les cordages qui me soutiennent contre les coups de mer. La nuit vient plus horrible encore ; les nuages pèsent sur la mer, tout l’horizon se déchire d’éclairs, tout est feu autour de nous ; la foudre semble jaillir de la crête