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aux lamentations des femmes grecques aux convois de leurs morts ; nous ne portons plus de voiles ; le vaisseau roule d’un abîme à l’autre, et, chaque fois qu’il tombe sur le flanc, ses mâts semblent s’écrouler dans la mer comme des arbres déracinés, et la vague écrasée sous le poids rejaillit, et couvre le pont ; tout le monde, excepté l’équipage et moi, est descendu dans l’entre-pont ; on entend les gémissements des malades et le roulis des caisses et des meubles qui se heurtent dans les flancs du brick. Le brick lui-même, malgré ses fortes membrures et les pièces de bois énormes qui le traversent d’un bord à l’autre, craque et se froisse comme s’il allait s’entr’ouvrir. Les coups de mer sur la poupe retentissent de moment en moment comme des coups de canon ; à deux heures du matin, la tempête augmente encore ; je m’attache avec des cordes au grand mât, pour n’être pas emporté par la vague et ne pas rouler dans la mer, lorsque le pont incline presque perpendiculairement. Enveloppé dans mon manteau, je contemple ce spectacle sublime ; je descends de temps en temps sous l’entre-pont pour rassurer ma femme, couchée dans son hamac. Le second capitaine, au milieu de cette tourmente affreuse, ne quitte la manœuvre que pour passer d’une chambre à l’autre, et porter à chacun les secours que son état exige : homme de fer pour le péril, et cœur de femme pour la pitié.

Toute la nuit se passe ainsi. Le lever du soleil, dont on ne s’aperçoit qu’au jour blafard qui se répand sur les vagues et dans les nuages confondus, loin de diminuer la force du vent semble l’accroître encore ; nous voyons venir, d’aussi loin que porte le regard, des collines d’eau écumante derrière d’autres collines. Pendant qu’elles passent, le brick se