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suivre, leurs regards paraissent exprimer une grande exaltation, mais bientôt on ne distingue plus rien. Le temps que dura cette valse étrange, je ne saurais le dire ; mais il me parut incroyablement long. Peu à peu cependant le nombre des tourneurs diminuait ; épuisés de fatigue, ils s’affaissaient l’un après l’autre et retombaient dans leur attitude première ; les derniers semblaient mettre une grande persistance à tourner le plus longtemps possible, et j’éprouvais un sentiment pénible à voir les efforts que faisait un vieux derviche, haletant et chancelant à la fin de cette rude épreuve, pour ne céder qu’après tous les autres. Pendant ce temps nos Arabes nous entretiennent de leurs superstitions ; ils prétendent qu’un chrétien, récitant continuellement le Credo, forcerait le musulman à tourner sans fin, par une impulsion irrésistible, jusqu’à ce qu’il en mourût ; qu’il y en avait beaucoup d’exemples ; et qu’une fois les derviches ayant découvert celui qui employait ce sortilége l’avaient forcé à réciter le Credo à rebours, et avaient ainsi détruit le charme au moment où le tourneur allait expirer : et nous, nous faisons de tristes réflexions sur la faiblesse de la raison humaine, qui cherche à tâtons, comme l’aveugle, sa route vers le ciel, et se trompe si souvent de chemin. Ces bizarres extravagances, qui dégradent en quelque sorte l’esprit humain, avaient cependant un but digne de respect et un noble principe. C’était l’homme voulant honorer Dieu ; c’était l’imagination voulant s’exalter par le mouvement physique, et arriver, comme elle y arrive par l’opium, à cet étourdissement divin, à cet anéantissement complet du sentiment et du moi, qui lui permet de croire qu’elle s’est abîmée dans l’unité infinie, et qu’elle communique avec Dieu.