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des sentiers inconnus. La route ordinaire était interceptée par la prodigieuse quantité de neige tombée pendant cet hiver. Nous montâmes d’abord, par des pentes assez douces, à travers des collines cultivées en vignes et en mûriers. Bientôt nous arrivâmes à la région des rochers et des torrents sans lits ; nous en passâmes une trentaine au moins dans l’espace de six heures. Ils courent sur des pentes si rapides, qu’ils n’ont pas le temps de se creuser un lit : c’est un rideau d’écume qui glisse sur le roc nu, et qui passe avec la rapidité des ailes de l’oiseau.

Le ciel se couvrait de nuages pâles qui interceptaient déjà la lumière, quoique le jour fût peu avancé ; nous étions complétement noyés dans ces vagues roulantes de nuages, et souvent nous n’apercevions pas la tête de la caravane enfoncée dans ces avenues ténébreuses. La neige aussi commençait à tomber à larges flocons, et couvrait la trace des sentiers que cherchaient vainement nos guides ; nous soutenions avec peine nos chevaux fatigués, et dont les fers glissaient sur les rebords escarpés que nous étions obligés de suivre. Le magnifique horizon inférieur de la vallée de Balbek et des cimes de l’Anti-Liban, avec les grandes ruines des temples de Bkâ, frappés de la lumière, ne nous apparaissaient que par moments, à travers des échappées de nuages fendus ; il semblait que nous naviguions dans le ciel, et que le piédestal d’où nous voyions la terre ne lui appartenait plus. Cependant les vents sonores qui dormaient dans les profondes et hautes gorges des montagnes commençaient à rendre des sons lugubres et souterrains, semblables au mugissement d’une forte mer après la tempête ; ils passaient comme des foudres, tantôt sur nos têtes, tantôt dans des ré-