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guilé : ils vont s’asseoir, une partie du jour, sur les divans extérieurs de cafés bâtis aux bords des ruisseaux qui traversent la ville ; de beaux platanes ombragent le divan : là, ils fument et causent avec leurs amis, et c’est le seul moyen de communication, excepté la mosquée, pour les habitants de Damas. Là se préparent, presque en silence, les fréquentes révolutions qui ensanglantent cette capitale. La fermentation muette couve longtemps, puis éclate au moment inattendu. Le peuple court aux armes sous la conduite d’un parti quelconque, commandé par un des agas, et le gouvernement passe, pour quelque temps, dans les mains du vainqueur. Les vaincus sont mis à mort, ou s’enfuient dans les déserts de Balbek et de Palmyre, où les tribus indépendantes leur donnent asile. Les officiers et les soldats du pacha d’Égypte vêtus presque à l’européenne, traînent leurs sabres sur les trottoirs du bazar ; nous en rencontrons plusieurs qui nous accostent, et parlent italien ; ils sont sur leurs gardes à Damas ; le peuple les voit avec horreur ; chaque nuit l’émeute peut éclater. Shérif-Bey, un des hommes les plus capables de l’armée de Méhémet-Ali, les commande, et gouverne momentanément la ville. Il a formé un camp de dix mille hommes hors des murs, aux bords du fleuve, et tient garnison dans le château ; il habite lui-même le sérail. La nouvelle du moindre échec survenu en Syrie à Ibrahim serait le signal d’un soulèvement général et d’une lutte acharnée à Damas. Les trente mille chrétiens arméniens qui habitent la ville sont dans la terreur, et seraient massacrés si les Turcs avaient le dessus. Les musulmans sont irrités de l’égalité qu’Ibrahim-Pacha a établie entre eux et les chrétiens. Quelques-uns de ceux-ci abusent de ce moment de tolérance, et insultent leurs ennemis par une violation de leurs habitudes,