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Les deux agas chez lesquels je suis entré m’ont reçu avec la politesse la plus exquise. Le fanatisme brutal du bas peuple de Damas ne monte pas si haut. Ils savent que je suis un voyageur européen ; ils me croient un ambassadeur secret, venant chercher des renseignements pour les rois de l’Europe, sur la querelle des Turcs et d’Ibrahim. J’ai témoigné à l’un d’eux le désir de voir ses plus beaux chevaux et d’en acheter, s’il consentait à m’en vendre. Aussitôt il m’a fait conduire par son fils et par son écuyer dans une vaste écurie, où il nourrit trente ou quarante des plus admirables animaux du désert de Palmyre. Rien de si beau ne s’était jamais offert réuni à mes yeux : c’était en général des chevaux de très-haute taille, de poil gris-sombre ou gris-blanc, à crinières comme de la soie noire, avec des yeux à fleur de tête, couleur marron foncé, d’une force et d’une sécheresse admirables : des épaules larges et plates, des encolures de cygne. Aussitôt que ces chevaux m’ont vu entrer et entendu parler une langue étrangère, ils ont tourné la tête de mon côté, ils ont frémi, ils ont henni, ils ont exprimé leur étonnement et leur effroi par les regards obliques et effarés de leurs yeux, et par un plissement de leurs naseaux, qui donnaient à leurs belles têtes la physionomie la plus intelligente et la plus extraordinaire. J’avais eu déjà occasion de remarquer combien l’esprit des animaux en Syrie est plus prompt et plus développé qu’en Europe. Une assemblée de croyants, surpris dans la mosquée par un chrétien, n’aurait pas mieux exprimé, dans ses attitudes et dans son visage, l’indignation et l’effroi, que ces chevaux ne le firent en voyant un visage étranger, en entendant parler une langue inconnue. J’en caressai quelques-uns, je les étudiai tous ; je les fis sortir dans la cour ; je ne savais sur