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égard fussent plus exactes et plus intelligentes : cela est d’autant plus étonnant, qu’il ne sait que le latin et le grec, et qu’il n’a jamais pu lire ces ouvrages ou ces journaux de l’Occident où ces questions sont mises à la portée de ceux mêmes qui les répètent sans les comprendre. Il n’a jamais eu non plus occasion de causer avec des hommes distingués de nos climats. Damas est un pays sans rapports avec l’Europe. Il a tout compris au moyen de cartes géographiques et de quelques grands faits historiques et politiques qui ont retenti jusque-là, et que son génie naturel et méditatif a interprétés avec une merveilleuse sagacité. J’ai été charmé de cet homme ; je suis resté une partie de la matinée à m’entretenir avec lui : il viendra ce soir et tous les jours. Il entrevoit, comme moi, ce que la Providence semble préparer pour l’Orient et pour l’Occident, par l’inévitable rapprochement de ces deux parties du monde se donnant mutuellement de l’espace, du mouvement, de la vie et de la lumière. Il a une fille de quatorze ans qui est la plus belle personne que nous ayons vue ; la mère, jeune encore, est charmante aussi. Il m’a présenté son fils, enfant âgé de douze ans, dont l’éducation l’occupe beaucoup. « Vous devriez, lui ai-je dit, l’envoyer en Europe, et lui faire donner une éducation comme celle que vous regrettez pour vous-même ; je la surveillerais. — Hélas ! m’a-t-il répondu, j’y pense sans cesse, j’y ai pensé souvent : mais si l’état de l’Orient ne change pas encore, quel service aurai-je rendu à mon fils en l’élevant trop, par ses connaissances, au-dessus de son temps et du pays où il doit vivre ? que fera-t-il à Damas quand il y reviendra avec les lumières, les mœurs et le goût de liberté de l’Europe ? S’il faut être esclave, il vaut mieux n’avoir jamais été qu’esclave. »