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faut écrire dans sa pensée pour toujours ; ils contiennent en quelques minutes plus d’impressions, plus de couleurs, plus de vie, que des années entières écoulées dans les prosaïques vicissitudes de la vie commune. Le cœur est plein, et voudrait déborder. C’est alors que l’homme le plus vulgaire se sent poëte par toutes les fibres ; c’est alors que le fini et l’infini entrent par tous les pores ; c’est alors qu’on veut éclater devant Dieu, ou révéler seulement à un cœur sympathique ou à tous les hommes, dans la langue des esprits, ce qui se passe dans notre esprit ; c’est alors qu’on improviserait des chants dignes de la terre et du ciel ; ah ! si l’on avait une langue ! mais il n’y a pas de langue, surtout pour nous Français ; non, il n’y a pas de langue pour la philosophie, l’amour, la religion, la poésie ; les mathématiques sont la langue de ce peuple ; ses mots sont secs, précis, décolorés comme des chiffres. — Allons dormir.




Même date, 2 heures du matin.


Je ne puis dormir ; j’ai trop senti ; je remonte sur le pont : — peignons. — La lune a disparu sous la brume orangée qui voile l’horizon sans autres limites. Il est bien nuit, mais une nuit sur mer, c’est-à-dire sur un élément transparent qui réfléchit la moindre lueur du firmament, et qui semble garder une lumineuse impression du jour. Cette nuit n’est