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1er août 1832, à minuit.


Partis ce matin par une grosse mer, un calme absolu nous a surpris à douze lieues en mer ; il dure encore. Aucun vent dans le ciel, si ce n’est quelques brises perdues qui viennent de temps en temps froisser les voiles des deux vaisseaux ; elles font rendre à ces grandes voiles une palpitation sonore, un battement irrégulier, semblable au battement convulsif des ailes d’un oiseau qui meurt ; la mer est plane et polie comme la lame d’un sabre ; pas une ride ; mais, de loin en loin, de larges ondulations cylindriques qui se glissent sous le navire et l’ébranlent comme un tremblement souterrain. Toute la masse des mâts, des vergues, des haubans, des voiles, craque et frémit alors, ainsi que sous un vent trop lourd. Nous n’avançons pas d’une ligne en une heure ; les écorces d’orange que Julia jette dans la mer flottent sans déclinaison autour du brick, et le timonier regarde nonchalamment les étoiles, sans que la barre fasse dévier sa main distraite. Nous avons lâché le câble de remorque qui nous attachait à la frégate anglaise, parce que les deux vaisseaux, ne gouvernant plus, couraient risque de se heurter dans les ténèbres.

Nous sommes maintenant à cinq cents pas environ de la frégate. Les lampes allumées brillent par les sabords au fond des larges et belles chambres d’officiers qui couronnent sa poupe. Un fanal, que l’œil peut confondre avec un des feux