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baril auquel un câble est attaché ; nous pêchons le baril et le câble, et nous suivons, comme un coursier en laisse, la masse flottante qui creuse la vague, et ne paraît pas s’apercevoir de notre poids.

Je ne connaissais pas le capitaine Lyons, commandant depuis six ans sur un des vaisseaux de la station anglaise du Levant ; je n’en étais pas connu, même de nom ; je ne l’avais rencontré chez personne à Malte, parce qu’il était en quarantaine : et cependant voilà un officier d’une autre nation, de nation souvent rivale et hostile, qui, au premier signe de notre part, consent à ralentir sa marche de deux ou trois jours, à soumettre son vaisseau et son équipage à une manœuvre souvent très-périlleuse (la remorque), à entendre peut-être autour de lui murmurer les marins de son bord d’une condescendance pareille pour un Français inconnu, — tout cela par un seul sentiment de noblesse d’âme et de sympathie pour les inquiétudes d’une femme et pour la souffrance d’un enfant. — Voilà l’officier anglais dans toute sa générosité personnelle ; voilà l’homme dans toute la dignité de son caractère et de sa mission. — Je n’oublierai jamais ni le trait ni l’homme. — L’homme qui vient quelquefois à notre bord pour s’informer de nos convenances, et nous renouveler les assurances du plaisir qu’il éprouve à nous protéger, me paraît un des plus loyaux et des plus ouverts que j’aie rencontrés. — Rien en lui ne rappelle cette prétendue rudesse du marin ; mais la fermeté de l’homme accoutumé à lutter avec le plus terrible des éléments se marie admirablement, sur sa figure encore jeune et belle, avec la douceur de l’âme, l’élévation de la pensée et la grâce du caractère.