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répétées sur chaque seuil, sur chaque terrasse, sur chaque balcon. — En multipliant cette scène et cette vue par cinq ou six cents maisons semblables, on aura un souvenir exact de ce paysage, unique pour un Européen qui ne connaît ni Séville, ni Cordoue, ni Grenade : c’est un souvenir qu’il faut graver tout entier, et avec ses détails de mœurs, pour le retrouver une fois dans la sombre et terne uniformité de nos villes d’Occident. Ces souvenirs, retrouvés dans la mémoire pendant nos jours et nos mois de neige, de brouillard et de pluie, sont comme une échappée sur le ciel serein pendant une longue tempête. — Un peu de soleil dans l’œil, un peu d’amour dans le cœur, un rayon de foi ou de vérité dans l’âme, c’est une même chose. — Je ne puis vivre sans ces trois consolations de l’exil terrestre. — Mes yeux sont de l’Orient, mon âme est amour, et mon esprit est de ceux qui portent en eux un instinct de lumière, une évidence irréfléchie qui ne se prouve pas, mais qui ne trompe pas et qui console. Voici donc le paysage :

Lumière dorée, douce et sereine, comme celle qui sort des yeux et des traits d’une jeune fille avant que l’amour ait gravé un pli sur son front, jeté une ombre sur ses yeux. — Cette lumière, répandue également sur l’eau, sur la terre, dans le ciel, frappe la pierre blanche et jaune des maisons, et laisse tous les dessins des corniches, toutes les arêtes des angles, toutes les balustrades des terrasses, toutes les ciselures des balcons, s’articuler vides et nets sur l’horizon bleu, sous ce tremblement aérien, sous ce vague incertain et brumeux dont notre Occident a fait une beauté pour ses arts, ne pouvant corriger ce vice de son climat. Cette qualité de l’air, cette couleur blanche, jaune, dorée, de la