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marbre ou de granit pour en construire des obélisques ou des pyramides, défi sublime jeté par elles au temps, voix muette avec laquelle elles parleront à jamais aux âmes grandes et généreuses ; — ces nations poëtes, comme les Égyptiens, les Juifs, les Indous, les Grecs, qui ont idéalisé la politique et fait prédominer dans leur vie de peuples le principe divin, l’âme, sur le principe humain, l’utile ; — celles-là, je les aime, je les vénère ; je cherche et j’adore leurs traces, leurs souvenirs, leurs œuvres écrites, bâties ou sculptées ; je vis de leur vie, j’assiste en spectateur ému et partial au drame touchant ou héroïque de leur destinée, et je traverse volontiers les mers pour aller rêver quelques jours sur leur poussière, et pour aller dire à leur mémoire le mémento de l’avenir ; celles-là ont bien mérité des hommes, car elles ont élevé leurs pensées au-dessus de ce globe de fange, au delà de ce jour fugitif. — Elles se sont senties faites pour une destinée plus haute et plus large, et, ne pouvant se donner à elles-mêmes la vie immortelle que rêve tout cœur noble et grand, elles ont dit à leurs œuvres : « Immortalisez-nous, subsistez pour nous, parlez de nous à ceux qui traverseront le désert, ou qui passeront sur les flots de la mer Ionienne, devant le cap Sygée ou devant le promontoire de Sunium, où Platon chantait une sagesse qui sera encore la sagesse de l’avenir. »

Voilà ce que je pensais en écoutant la proue, sur laquelle j’étais assis, fendre les vagues de la mer d’Afrique, et en regardant à chaque minute, sous la brume rose de l’horizon, si je n’apercevais pas le cap de Carthage.

La brise tomba, la mer se calma, le jour s’écoula à re-