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de minutes, nous reconnûmes la pleine lune enflammée par la vapeur du vent d’ouest, et sortant lentement des flots comme un disque de fer rouge que le forgeron tire avec ses tenailles de la fournaise, et qu’il suspend sur l’onde où il va l’éteindre. Du côté opposé du ciel, le disque du soleil, qui venait de descendre, avait laissé à l’occident comme un banc de sable d’or, semblable au rivage de quelque terre inconnue. Nos regards flottaient d’un bord à l’autre entre ces deux magnificences du ciel. Peu à peu les clartés de ce double crépuscule s’éteignirent ; des milliers d’étoiles naquirent au-dessus de nos têtes, comme pour tracer la route à nos mâts, qui passèrent de l’une à l’autre ; on commanda le premier quart de la nuit, on enleva du pont tout ce qui pouvait gêner la manœuvre, et les matelots vinrent, l’un après l’autre, dire au capitaine : « Que Dieu soit avec nous ! »

Je continuai de me promener quelque temps en silence sur le pont ; puis je descendis, rendant grâce à Dieu dans mon cœur d’avoir permis que je visse encore cette face inconnue de sa nature. Mon Dieu, mon Dieu, voir ton œuvre sous toutes ses faces, admirer ta magnificence sur les montagnes ou sur les mers, adorer et bénir ton nom, qu’aucune lettre ne peut contenir, c’est là toute la vie ! Multiplie la nôtre, pour multiplier l’amour et l’admiration dans nos cœurs ! Puis tourne la page, et fais-nous lire dans un autre monde les merveilles sans fin du livre de ta grandeur et de ta bonté !