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amie que le rivage tend aux matelots, nous laissons tomber l’ancre. L’eau est sans ride, et tellement transparente, qu’à vingt pieds de profondeur nous voyons briller les cailloux et les coquillages, ondoyer les longues herbes marines, et courir des milliers de poissons aux écailles chatoyantes, trésors cachés du sein de la mer, aussi riche, aussi inépuisable que la terre en végétation et en habitants. La vie est partout comme l’intelligence : toute la nature est animée, toute la nature sent et pense ! Celui qui ne le voit pas n’a jamais réfléchi à l’intarissable fécondité de la pensée créatrice. Elle n’a pas dû, elle n’a pas pu s’arrêter ; l’infini est peuplé ; et partout où est la vie, là aussi est le sentiment ; et la pensée a des degrés inégaux sans doute, mais sans vide. En voulez-vous une démonstration physique, regardez une goutte d’eau sous le microscope solaire, vous y verrez graviter des milliers de mondes ! des mondes dans une larme d’insecte ; et si vous parveniez à décomposer encore chacun de ces milliers de mondes, des millions d’autres univers vous apparaîtraient encore ! Si, de ces mondes sans bornes et infiniment petits, vous vous élevez tout à coup aux grands globes innombrables des voûtes célestes, si vous plongez dans les voies lactées, poussière incalculable de soleils dont chacun régit un système de globes plus vaste que la terre et la lune, l’esprit reste écrasé sous le poids des calculs ; mais l’âme les supporte, et se glorifie d’avoir sa place dans cette œuvre, d’avoir la force de la comprendre, d’avoir un sentiment pour en bénir, pour en adorer l’Auteur ! Ô mon Dieu, que la nature est une digne prière pour celui qui t’y cherche, qui t’y découvre sous toutes les formes, et qui comprend quelques syllabes de sa langue muette, mais qui dit tout !