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chaque pas, la scène était nouvelle, et attirait plus vivement notre attention. Un peintre trouverait mille sujets d’un pittoresque inconnu dans la forme sans cesse neuve et inattendue dont les demeures de la tribu sont mêlées et confondues avec les restes des théâtres, des bains, des églises, des mosquées, qui jonchent ce coin de terre. Moins l’homme a travaillé pour se créer un asile dans ce chaos d’une ville renversée, plus ces habitations sont improvisées par le hasard bizarre de la chute des monuments, plus aussi la scène est poétique et frappante. Des femmes trayaient leurs chèvres sur les gradins de l’amphithéâtre ; des troupeaux de moutons sautaient un à un de la fenêtre en ogive du palais d’un émir ou d’une église gothique de l’époque des croisés. Des scheiks accroupis fumaient leurs pipes sous l’arche ciselée d’un arc romain, et des chameaux avaient leurs longes attachées aux colonnettes moresques de la porte d’un harem. Nous descendîmes de cheval pour visiter en détail les principaux restes.

Les Arabes nous firent de grandes difficultés quand nous témoignâmes la volonté d’entrer dans l’enceinte du grand temple qui est au bout de la ville, sur un rocher au bord de la mer. Il nous fallut une contestation nouvelle à chaque cour, à chaque mur que nous avions à franchir pour y pénétrer ; nous fûmes obligés d’employer même la menace pour les forcer à nous céder le passage. Les femmes et les enfants s’éloignèrent, en nous lançant des imprécations ; le scheik se retira un moment, et les autres Arabes montrèrent sur leurs figures et dans leurs gestes tous les signes du mécontentement ; mais l’air d’indécision et de timidité mal déguisé que nous aperçûmes aussi dans leurs manières nous