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si inattendue, à mon retour en Europe, et de solliciter un peu d’avancement de mes amis à Turin pour le jeune agent consulaire de Kaïpha. L’espérance, quoique bien éloignée et bien incertaine, rentra dans le cœur de Madame Malagamba, et la conversation prit un autre tour. Nous parlâmes des mœurs du pays et de la monotonie de la vie des femmes arabes, dont les femmes européennes qui vivent en Arabie sont obligées de contracter aussi les habitudes. Mais Mademoiselle Malagamba et sa mère n’avaient jamais connu d’autre genre de vie, et s’étonnaient au contraire de ce que je leur racontais de l’Europe. Vivre pour un seul homme et d’une seule pensée dans l’intérieur de leurs appartements ; passer la journée sur un divan à tresser ses cheveux, à disposer avec grâce les nombreux bijoux dont elles se parent ; respirer l’air frais de la montagne ou de la mer, du haut d’une terrasse ou à travers les treillis d’une fenêtre grillée ; faire quelques pas sous les orangers et les grenadiers d’un petit jardin, pour aller rêver au bord d’un bassin que le jet d’eau anime de son murmure ; soigner le ménage, faire de ses mains la pâte du pain, le sorbet, les confitures ; une fois par semaine, aller passer la journée au bain public en compagnie de toutes les jeunes filles de la ville, et chanter quelques strophes des poëtes arabes en s’accompagnant sur la guitare : voilà toute la vie de l’Orient pour les femmes. La société n’existe pas pour elles ; aussi n’ont-elles aucune de ces passions factices de l’amour-propre que la société produit ; elles sont tout à l’amour quand elles sont jeunes et belles, et, plus tard, tout aux soins domestiques et à leurs enfants. Cette civilisation en vaut-elle une autre ?

Comme nous étions à causer ainsi de choses au hasard,